Événements / Exposition · 27 août 2023

Voir en grand

Voir en grand, c’est le résultat d’un constat simple : dessiner en plus grand c’est prendre possession de l’espace vers une immersion plus importante.

La découverte

Quand j’ai vu la galerie des hébergements de l’Autre-Lieu de l’intérieur pour la première fois, quelques-uns de mes grands dessins se trouvaient déjà accrochés et mis en valeur.

Mon esprit n’a fait qu’un tour et j’ai souhaité la remplir entièrement pour envahir l’espace.

Pour cela, je devais rester sur place quelque temps et me consacrer à cet objectif. Une fois le concept acquis, il me fallait trouver des idées de thématiques en accord avec l’équipe : cinéma, musique et patrimoine. Il m’a semblé intéressant de me dégager de l’équation pour un temps en prenant des photographies qui ne soient pas de moi mais restant proches de la Manche.

C’est ainsi que Philippe et Patrick Quevastre m’ont confié une partie de leurs photos de tournages, David Daguier ses photos de concerts et Anne Baron celles de ses élèves du collège Émile-Zola qui depuis quelques années portent un regard photographique sur l’espace René Le Bas.

Choisir le grand lavis

J’ai eu envie de donner une autre lecture par la taille et le média utilisé. Le lavis a cette force qu’il faut savoir canaliser. Elle réduit notre lecture des couleurs à de simples nuances mais en contrepartie apporte un aspect plus direct à la lumière, plus de contrastes, si l’on prend le temps de les manier et de jouer avec.

J’ai tendance à croire que rien n’est acquis. Autrement dit, je ne crois pas au talent. Je suis simplement quelqu’un qui s’entraîne pour s’améliorer. Tant que je n’y arrive pas, c’est que j’ai la chance de pouvoir progresser. Il me reste alors une lueur d’espoir, celle d’avancer dans une boucle vertueuse.

S’immerger pour un seul objectif : la réussite du projet

Ma première intuition était de tout organiser en amont ce que j’allais représenter avant de commencer pour lister les photographies que j’allais transformer en dessin. J’ai donc choisi les 10 premières photographies prises par les collégiens et j’ai commencé à remplir mes grandes feuilles. Ces 13 jours passés dans l’Autre Lieu m’ont donné la force de produire 35 dessins à partir de photographies. Mes calculs étaient basés sur deux facteurs un peu biaisés : la taille des feuilles, assez grande, et implicitement le temps de réalisation pour les remplir.

Je me suis rendu compte assez rapidement qu’il me fallait quand même 3 heures en moyenne pour réaliser chaque dessin. Ce qui m’incitait à réaliser entre 3 et 4 dessins par jour. Après quelques débuts, j’ai constaté que cette méthode, sensée me rassurer, m’a conduit vers une sensation d’étouffement, d’écrasement, comme un devoir à faire. Dès le 3e, j’ai revu ma façon de sélectionner les photographies.

Je gardais celles qui me convenaient parfois, au grè des envies, pour revenir sur celles qui me parlaient différemment d’une façon ou d’une autre.

C’est comme planifier un voyage pour gravir une haute montagne. Bien sûr, il faut être préparé, être motivé mais à vouloir tout baliser, on oublie la découverte. C’est cette notion d’aventure qui m’a certainement donné le plus d’énergie. Il ne s’agit pas non plus de partir en tongs mais surtout de bien s’équiper pour ne pas prendre de risques inutiles.

En réalité, mon compte était encore faussé. Je ne suis pas une machine. Le corps humain à besoin d’échanger pour avancer, de se reposer pour mieux repartir. Tant bien que mal, j’ai réussi à réaliser environ 3 dessins par jour en moyenne sans atteindre mon premier objectif de 40.

Un travail hors du temps dans un cadre confortable.

J’ai investi l’autre bar et profité de tout l’espace qui m’était offert pour avancer sur mon projet. Ma montre fut oubliée pour me consacrer uniquement à ma tâche, mises à part quelques visites qui m’ont également motivé à continuer.

Tout ce temps, ponctué de siestes à n’importe quelle heure de la journée, de travail acharné pour tenir la cadence et de ces moments de vide pour penser et ne rien faire d’autre. Je suivais la courbure du soleil et continuais sans savoir l’heure qu’il était.

J’ai ressenti un certain plaisir à ne plus avoir qu’une seule préoccupation : finir mes dessins.

Au bout de quelques jours, j’ai constaté que je sollicitais un peu trop mon bras droit en hauteur sur cet exercice et qu’il me fallait soit ralentir, soit revoir ma position de travail. Tout l’enjeu fut alors de changer ma façon de procéder pour garder de l’énergie et continuer sereinement mon voyage créatif de façon plus adaptée.

Après quelques jours, j’ai commencé à regarder autrement les photographies et à percevoir dans quelle teinte j’allais les traiter assez rapidement, comme un réflexe. Lors de mes pauses ou en balade, je commençais à regarder “en noir et blanc” et tout en nuances sans efforts.

Mon cerveau était lancé.

Le grand format, c’est aussi prendre la mesure de mes défauts

Tout est plus grand, mes hésitations, mes problèmes de proportions, différences de nuances, de dissonances graphiques. Mais tout est aussi plus beau, plus grand, plus entier. Un changement d’échelle qui permet de se projeter dans le dessin, littéralement. Une porte ouverte vers l’imaginaire qui permet d’enchaîner entre 2 et 4 dessins par jour selon le sujet et mes envies. J’ai accepté depuis un certain temps d’exposer mes erreurs car je ne suis pas parfait. La perfection n’est pas un objectif mais un vrai frein.

Même si parfois, je les trouve un peu “ratés”, car un personnage louche ou qu’une courbe n’est pas bien terminée.

Mes erreurs font de ce dessin un acte unique et je retrouve une certaine forme de naïveté dans mon trait. Là encore, à vouloir tout maîtriser, on se fatigue très vite. Je pourrai certainement recommencer certains dessins qui me semblent incomplets ou truffés d’erreurs. Finalement, ces imprécisions font partie du processus et génèrent quelque chose de plus vivant.

Mon processus de création

Mon objectif n’est pas de reproduire exactement ce que je vois. J’essaye de rester précis et proportionné avec une marge d’erreur, tout en restant proche du sujet. La photographie choisie, c’est un moment vécu par quelqu’un d’autre qui n’est pas moi. Cette vision en-dehors de moi, je me dois de me l’approprier. L’image doit m’interpeller et justifier mon choix.

Je croque rapidement sur un carnet, mon choix de recadrage, mes proportions, mes choix d’encre et je suis prêt à me lancer.

Je découpe la feuille d’environ 160 x 100 cm et décide de la mettre en portrait ou paysage, puis je positionne le vieux téléphone qui me sert de caméra en fonction de mon choix sur mon trépied prêt à filmer.

Chaque pot d’encre sur lequel j’ai noté un numéro me permet d’évaluer le niveau de gris attendu. Mes premiers traits au fusain vont donner le ton à l’ensemble de mon image.

Mon esprit se souvient de mes premiers cours de l’école des Beaux-Arts de Cherbourg, au couvent disparu aujourd’hui. Une espèce d’agrégat de lignes directrices, de lignes de forces, d’espaces pleins et vides, d’équilibres du dessin, des premiers traits : bref, une tempête sous un crâne. Les premières lignes se tracent tant bien que mal. La dynamique globale du dessin transpire et j’ai une bonne base pour commencer le lavis. La plupart du temps je reste sur le mode classique, en partant du plus clair pour aller au plus foncé, sauf exceptions.

Quand j’arrive au pot le plus foncé/clair, je prends un peu de recul pour voir où j’aurais pu délaisser quelques espaces. L’objectif est de revenir le moins possible sur le même pot de lavis.

3 thématiques et un bonus

J’ai passé pas mal de temps à choisir les photos qui ont servi de base pour mon travail. Difficile de justifier mes choix, même si certains clichés étaient une évidence. J’ai décidé de traiter chaque thématique dans cet ordre : patrimoine, musique, cinéma, pour ne pas tout mélanger et garder le compte des dessins. Vers la fin de la résidence, j’ai senti le besoin de choisir moi-même mes sources iconographiques.

Patrimoine

Travailler à partir de photos de collégiens permet de regarder la vie autrement, comme un coup de jeunesse dans mon regard, une énergie différente plein de ressources.

Ma sélection s’est portée sur des choix très personnels, en fonction de l’évocation d’un lieu et de son histoire, comme la grille, la chapelle. Les reflets sont souvent présents, dans les flaques d’eau particulièrement. La richesse de cet espace réside également dans la végétation omniprésente, une ode à la poésie et au calme ambiant. C’est aussi pour cela que j’ai pu sélectionner quelques images avec beaucoup de verdure et d’arbres.

Musique

Je travaille la plupart du temps en musique et ce n’est pas pour cela que j’ai choisi certaines photographies, car je connaissais pas la moitié des musiciens. J’écoutais parfois les artistes pendant le processus, c’était parfois un moment de découverte pour moi qui n’a pas toujours été possible pour des raisons de goûts musicaux. Mes choix se sont surtout portés sur les aspects graphiques ayant un potentiel certain. J’observe le cadrage, la lumière, les mouvements de l’artiste photographié sur scène.

Cinéma

J’ai eu la chance de tomber sur des passionnés de cinéma et d’avoir accès à un large panel d’archives photographiques de tournages dans la Manche. J’ai voulu montrer l’envers du décor, comme un pas de côté en dehors de l’écran. Je profite de quelques photos pour évoquer les techniciens, ces travailleurs de l’ombre. Je décide parfois de mettre en valeur le paysage et d’écarter les humains présents comme de simples silhouettes parcourant de merveilleux paysages de la Manche.

Nature

Je ne suis pas allé bien loin, il m’a fallu simplement sortir de la galerie et profiter du jardin accueillant de ce mois de juillet. Je pense aimer la verdure de manière générale, la nature, les feuilles, les formes des arbres. Commencés en fin de résidence, je propose donc quelques dessins traités légèrement différemment. Ils viennent contrebalancer cette plongée dans l’univers de photographies hors de moi. Souvent plus abstraits et traités autrement graphiquement.

Un nouvel espace d’exposition disponible

Je suis très heureux de pouvoir vous montrer mes dessins dans ce lieu magnifique et je compte sur le soleil de septembre et octobre pour embellir cette galerie. Après moi, il y aura d’autres artistes et presque 40 mètres de cimaises prêts à recevoir encore plus de créativité. C’est une très bonne expérience pour moi et pour ce lieu qui mérite d’être vu. Pour ma part, la prochaine étape est peut-être de travailler avec des encres de couleurs pour donner une autre tonalité à l’ensemble et arriver à traverser une autre forme de création avec une technique similaire.

Aperçu des grands formats

Passage à la radio de France Bleu Cotentin au 17h45

Vidéo de l’exposition

Concert déssiné